Une période inédite
La période que nous traversons est inédite à plus d’un titre. Non seulement elle affecte chacun dans les gestes quotidiens les plus anodins (et pourtant essentiels) mais il semble également difficile d’en identifier la fin. Interminable peut être, décisive à plus d’un titre. Aux effets de sidération du premier confinement ont succédé de nombreuses contributions enthousiastes sur le monde d’après, sur ce qui allait changer pour de bon, ce que l’on ne ferait plus jamais. Histoire de stopper le mantra de toujours plus de la même chose. Aujourd’hui, le doute et la lassitude pèsent et si les enthousiasmes persistent, ils ont du mal à se faire entendre dans le déluge de colère et de ressentiment alimentés en flux continu. La philosophe Cynthia Fleury analyse cette tentation du ressentiment dans son ouvrage « Ci-gît l’amer ». Et la nuance a bien du mal à se faire une place. Etienne Klein le dit avec à propos dans l’interview ci-après.
Aux statistiques morbides énoncées avec une régularité algorithmique, succèdent les augures sinistres sur la précarité actuelle et à venir, sur le désastre économique annoncé et sur les impacts de tout cela sur la santé de tous. Et une autre évidence : nous ne sommes pas tous égaux face à ces vagues interminables et imprévisibles.
Alors, parler d’accompagnement, se préoccuper de pouvoir d’agir, porter un regard sur les plus vulnérables et chercher à leur apporter un appui, même modeste face à une situation qui nous impose la patience et nous incite à l’effacement, à quoi bon ?
Pourtant il n’a jamais été autant question d’accompagnement
D’abord parce que la période Covid-19 est un moment d’initiatives solidaires multi formes : soutien, aide, mentoring, aide psychologique, accompagnement, coaching. La sémantique utilisée a été large mais peu importe. Dans la définition que nous avons donné de l’accompagnement dans le manifeste de Kelvoa, nous pensions couvrir largement ce champ : Apporter un appui permettant à une personne de faire quelque chose qu’elle ferait plus difficilement sans cet accompagnement écrivions-nous. La période interroge aussi cette définition. Est-ce qu’il s’agit de faire quelque chose ou plutôt de vivre un moment auquel nul n’est préparé.
Des initiatives solidaires multiples
Quand on étudie avec attention les différentes initiatives qui ont émergé, on voit bien que le soutien a pris des formes multiples : radio locale pour des personnes qui vivent en Ephad en utilisant le récit comme lien, préparation de repas, mobilisation dans des fab-lab pour fabriquer des masques en tissu, sessions de garantie-jeunes à distance avec des missions locales avec des temps d’animation d’ateliers et d’accompagnement à distance pour des groupes de jeunes.
…la liste est impressionnante et réconfortante. Le site internet Solidarum est une source inépuisable de ressources pour la solidarité sociale.
Et d’autres modalités de liens qui se tissent
Car la privation de contacts sociaux directs et physiques nous a tous obligés à inventer d’autres formes de relations. Sans y prendre garde, sans le réfléchir, nous avons développé des stratégies de communication multimodales même avec nos proches. Et dans le champ professionnel, les impacts ont été nombreux et parfois surprenants. Nous l’avons vu dans notre dernier échange. Nous y avons consacré un atelier collectif en février 2021 et un article sera bientôt mis en ligne. Changer de modalités, ce n’est pas nécessairement faire le même chose selon un mode dégradé, c’est utiliser toutes les ressources des modalités pour les articuler dans ce qu’elles ont de spécifique et de complémentaire.
Pour Kelvoa, l’enjeu est plus que jamais de valoriser les initiatives multiples, tant du côté des professionnels de l’accompagnement que des personnes accompagnées.
Les faire connaître, donner la parole aux personnes qui n’ont aucun porte-voix. Mais ne pas se contenter d’en rendre compte ou de les valoriser histoire de les mettre en lumière. C’est aussi, à travers ces initiatives, identifier ce qu’elles ont de commun, ce qu’elles actent et mobilisent comme principes d’intervention, ce qu’elles incarnent comme pouvoir de transformation, certes modeste mais nécessaire.
Et c’est à ce travail de modélisation que notre collectif s’attache en tissant des liens avec les multiples lieux et acteurs de l’accompagnement. Attaché à des valeurs et à des convictions mais sans position dogmatique. Les gens qui parlent sans nuance donnent l’impression d’avoir raison dit Etienne Klein. La vérité est un vaste sujet et nos points de vue sont aussi contingents, liés au contexte. Mais cela ne signifie pas que tout se vaut, que tout est possiblement acceptable. Non, c’est aussi une modeste contribution à une conception, à une possibilité d’agir au service d’un destin commun, d’une commune humanité.
Identifier ce sur quoi on a prise
Alors, nous cherchons à identifier ensemble ce sur quoi on a prise. C’est dans ce chemin difficile, nuancé, escarpé que nous avançons. En conscience de nos limites mais avec la certitude de convictions partagées qui ne sont pas des dogmes.
Nos rencontres Kelvoa cherchent à y contribuer depuis 2015. Et nous poursuivons le chemin.
Et si l’accompagnement est un art, c’est qu’il n’est pas réductible à une procédure. Car si tel était le cas, alors les algorithmes et les IA auraient vite fait de nous remplacer. Alors, pour reprendre Cynthia Fleury, on peut faire le pari que nous sommes irremplaçables. Dans nos doutes et nos débats aussi.
André Chauvet