L’art d’accompagner autrement…toutes les différences ? Forum des initiatives. André Chauvet
Quand on cherche à trouver des chemins moins balisés, quand inventer en situation devient la condition d’un accompagnement personnalisé et pertinent, quand la coopération inspire l’action…
Accompagner autrement n’est pas un objectif en soi. Les initiatives dont nous allons parler partent toutes de différents constats, parfois combinés : démarches inadaptées aux situations des publics, malaise des professionnels face à des procédures préétablies et pas toujours adéquates, solitude du professionnel face à des cahiers des charges rigides, réactions du public (soumission, opposition, désengagement…). Il ne s’agit pas non plus d’attribuer toutes les vertus aux chemins détournés et de porter des jugements radicaux sur les dispositifs institués.
Il est plus question de nous donner l’occasion de mieux comprendre ces initiatives : à quoi répondent-elles ? Sur quels principes se fondent-elles ? Quelles conséquences en terme de gestes professionnels et de posture ? Quelle place et rôle des personnes accompagnées ? Avec quels résultats ? Et quelles interrogations pour les professionnels ?
Elles nous obligent toutes à rechercher la cohérence entre les objectifs visés et les ressources mobilisées. Car on perçoit vite une dérive dans la plupart des dispositifs règlementés : que la pression sociale tant sur les professionnels que sur les personnes ne nous amènent à ne regarder qu’un seul critère : la conformité aux attendus.
Cette séquence de présentation et d’échange vise donc à donner la parole à des professionnels qui cherchent sans cesse la pertinence de leurs interventions, quitte parfois à prendre des chemins de traverse et à faire bouger les cadres. Les expériences menées sont différentes. Elles ont en commun plusieurs choses : l’adaptation aux situations rencontrées (pertinence du côte de la personne), la recherche de ressources pour avancer, une volonté coopérative (expérience de Plateforme collaborative CEP). C’est d’ailleurs la nécessité affirmée des professionnels de pouvoir contribuer, dans une collaboration avec des pairs, qui est valorisée ici. Car on perçoit bien que ce qui se joue dans l’accompagnement, c’est cette articulation à trouver entre la personne, sa situation et son environnement élargi (emploi notamment). En ce sens ce qui est présenté ici peut clarifier la posture de l’accompagnateur : celui qui permet à la personne de franchir les obstacles auxquels elle est confrontée, lui apporter un soutien dans ce « pas d’après » en cherchant sans cesse les moyens les plus adéquats, pas toujours formalisés dans une fiche procédure. En ce sens, il y un risque à prendre pour la personne (acceptable, accessible).
Mais également du côté du professionnel qui peut hésiter, s’interroger. Et coopérer avec ses pairs devient une ressource essentielle.
De très nombreuses autres initiatives auraient trouvé leur place dans ce Forum. Nous avons cherché l’exemplarité plutôt que l’exhaustivité.
La FNARS PACA évoquera l’expérimentation nationale dite « Médiation pour l’emploi » à destination de structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE). L’objectif est d’accompagner des SIAE dans le développement des stratégies pour intervenir sur l’offre et sur la demande d’emploi sur leur territoire. Habituellement, les intermédiaires facilitent la rencontre d’une offre et d’une demande de travail déjà constituées, on considère qu’ils interviennent en aval. A contrario, la médiation active intervient en amont, sur la constitution même de l’offre et de la demande de travail. Nous pourrons ainsi aborder concrètement ces questions de médiation.
WORKING FIRST 13 est un programme expérimental basé sur la méthodologie Individual Placement and Support, équivalent anglo-saxon de l’emploi accompagné. Il offre un suivi intensif individualisé, illimité dans le temps à l’accès, au maintien à l’emploi sur le marché ordinaire du travail. Il s’adresse aux personnes éloignées de l’emploi sur le territoire de Marseille. La démarche s’appuie sur 9 principes d’intervention (notamment un soutien illimité dans le temps, l’attention portée aux préférences de la personne, une collaboration partagée dans la prise de décision). La dimension coopérative est centrale tant avec les personnes, les partenaires qu’entre les intervenants eux-mêmes.
Nous découvrirons la Plateforme NEET développée au Portugal. Le terme NEET (not in employment, education or training) désigne les jeunes qui n’ont pas d’emploi et ne suivent pas d’études. Ils seraient 1,9 millions en France et 14 millions en Europe. Si on peut trouver cette catégorisation risquée (stigmatisation, situations hétérogènes), elle a le mérite d’apporter quelques éléments objectifs à un débat difficile : précarisation des emplois, déclassement social mais également développement du non recours au droit, sentiment d’impuissance possible. Comment agir ensemble avec les personnes concernées pour aller vers plus d’équité et une société plus juste ? C’est tout l’enjeu du travail de cette plateforme NEET qui cherche elle aussi à fédérer les professionnels, à capitaliser les initiatives et à s’ancrer sur les contextes de vie des personnes concernées.
Le conseil en évolution professionnelle (ou CEP), nouveau dispositif d’accompagnement gratuit mis à disposition de tous les actifs, a été instauré en France par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Cinq opérateurs nationaux sont aujourd’hui habilités à délivrer le CEP (Pôle Emploi, APEC, Missions Locales, OPACIF et CAP EMPLOI). La communauté de métier (COMCEP) pour les conseillers du CEP est une initiative de trois acteurs : Centre Inffo, l’Université ouverte des compétences (Uodc), et le Réseau des Carif-Oref soutenue par la DGEFP et par les cinq opérateurs nationaux. Testée aujourd’hui en régions PACA, Bourgogne et Auvergne-Rhône-Alpes, la plateforme va se déployer sur l’ensemble du territoire national à partir d’octobre 2016. Le projet est de mettre à disposition de tous les professionnels délivrant du CEP une communauté de métier digitale : transversale, professionnelle, attractive, régulée. Il ne s’agira pas ici d’en apprécier les effets (le cadre n’est pas légitime pour cela et l’initiative est à son début) mais plutôt d’écouter des acteurs qui s’en saisissent pour travailler de manière coopérative. Car l’enjeu de l’accompagnement, c’est bien aussi comment chacun peut se nourrir de l’expérience des autres, comment un métier évolue, se structure, chemin faisant, dans les allers retours, les débats….peut être une nouvelle manière d’aborder la professionnalisation permanente dans un cadre vivant.
Ces initiatives (plus ou moins formalisées) interrogent également la capacité à introduire de l’innovation dans des pratiques instituées soumises aux indicateurs de conformité et de performance. Elles supposent également une visibilité tant pour les professionnels du champ de l’accompagnement que du côté des financeurs qu’il s’agit également d’éclairer.
C’est tout le sens de ces rencontres. Et la finalité du collectif Kelvoa.
Matthew B Crawford, L’éloge du carburateur, La découverte, 2010